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Impertinence

Critique littéraire : le Manifeste du parti communiste

11 Avril 2016 , Rédigé par Clément Henri-Rousseau Publié dans #Le coin du livre

Critique littéraire : le Manifeste du parti communiste

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Chef-d’oeuvre de la littérature politique, le Manifeste du parti communiste fait partie de ces oeuvres dont les mots sont chargés d’Histoire. Commandées par la Ligue des communistes, rédigées conjointement par Karl Marx et Friedrich Engels et publiées pour la première fois en 1848, les 150 pages du Manifeste témoignent d’une volonté d’unir le prolétariat en le dotant d’une conscience de classe. Ecrit dans un style simple mais incisif, l’ouvrage se divise en quatre parties d’ailleurs inégales : 

I- Bourgeois et prolétaires, II- Prolétaires et communistes, III- Littérature socialiste et communiste, IV- Position des communistes à l’égard des divers partis d’opposition. 

 

 

 

Le Manifeste signe le passage d’un socialisme utopique à un socialisme « scientifique » teinté de matérialisme philosophique 

 

 

Le Manifeste se place clairement en opposition aux premiers courants socialistes, le socialisme de Saint-Simon, de Fourier ou encore de Weitling. « Les propositions théoriques des communistes ne reposent nullement sur des idées, sur des principes inventés ou découverts par tel ou tel utopiste » écrit Marx. L’oeuvre se veut ainsi en rupture avec les vieux courants socialistes, teintés d’idéalisme, de christianisme social et d’humanisme. Contre le socialisme utopique, rêveur et abstrait (« Jamais encore l’ignorance n’a servi personne ! ») , Marx prône un socialisme concret, un socialisme que la classe prolétarienne puisse s’approprier comme doctrine pour la mener vers la révolution : le socialisme scientifique est né.

 

C’est donc de ce socialisme scientifique que découle la fameuse conception matérialiste de l’Histoire de Marx et Engels. De l’antiquité à la Révolution industrielle, écrivent-ils, « l’histoire de toute la société jusqu’à nos jours est l’histoire de la lutte des classes. Homme libre et esclave, patricien et plébéien, baron et serf, maitre d’un corps de métier et compagnon, bref, oppresseurs et opprimés ont été en opposition constante, ils ont mené une lutte ininterrompue, tantôt cachée, tantôt ouverte, lutte qui chaque fois s’est modifiee par une transformation révolutionnaire de la société toute entière ou par la ruine commune des classes en lutte »

 

 

« Les idées elles-mêmes sont des produits de rapports bourgeois de production et de propriété »

 

 

La philosophie du Manifeste semble ainsi évidente. C’est une conception matérialiste de l’Histoire qui est proposée, selon laquelle les « idées elles-mêmes sont des produits des rapports bourgeois de production et de propriété ». Mais en affirmant implicitement que toute la pensée du genre humain naît exclusivement de ses conditions matérielles, Marx va plus loin dans son matérialisme. Il suggère en réalité une conception matérialiste de la connaissance : le monde des idées n’existe pas. Seules les forces matérielles dirigent le monde. 

Avec une telle conception de l’Histoire et de la Connaissance, Marx le sait, il n’a pas besoin de décrire dans le Manifeste la société future qui naitra de la révolution communiste, comme les utopistes l’ont imaginé par le passé. En effet, cette révolution n’est plus ni abstraite ni utopique, elle n’est que le résultat de l’étude scientifique de faits historiques : les principes communistes « ne sont que l’expression générale de rapports effectifs d’une lutte de classe qui existe, d’un mouvement historique qui s’opère sous nos yeux ». Dans cette optique, décrire la société future issue de la Révolution serait une perte de temps, puisque la révolution est inéluctable. C’est scientifique.

 

 

 

 

 

 

Visionnaire, Marx décrit le système capitaliste tel que le vivons aujourd’hui

 

 

Bien-sûr, hors de ce matérialisme philosophique, le travail le plus remarquable de l’oeuvre de Marx est sa critique du capitalisme, dont l’apogée sera dans la publication du Capital en 1867. De nos jours, la critique du système capitaliste prête souvent à sourire. La réalité du capitalisme barbare et la misère des classes ouvrières du XIXème siècle dépeintes par Zola dans Germinal ne sont niées par personne, mais heureusement, se rassure-t-on aujourd’hui, cette réalité est bien loin.  

Néanmoins, en parcourant le Manifeste, certaines lignes laissent un goût amère, où une impression de déjà vu se mêle à un constat effroyable. Les descriptions du siècle de Marx s’avèrent être finalement d’une incroyable modernité. Marx s’impose dans cet opuscule comme un visionnaire, écrivant le capitalisme de son futur. 

 

 

 

« Les antiques industries nationales ont été anéanties et continuent à l’être chaque jour »

 

 

 

« La bourgeoisie s’étend sur la terre entière. Par l’exploitation du marché mondial, la bourgeoisie a donné une tournure cosmopolite à la production et à la consommation. Elle a sapé sous les pieds de l’industrie sa base nationale ». Quelle étrange prophétie. Marx visionnaire prédit notre système mondialisé. « Les antiques industries nationales ont été anéanties et continuent à l’être chaque jour » continue-t-il. « Elles sont évincées par des industries nouvelles, qui ne transforment plus des matières premières du pays, mais des matières premières en provenance des zones les plus reculées, et dont les produits sont consommés non seulement dans le pays même, mais dans toutes les parties du monde à la fois ». La globalisation sauvage, maîtresse de la délocalisation, de l’uniformisation de la consommation et de la destruction des industries nationales ? Ce discours ne nous est pas inconnu.

 

« Les anciennes petites classes moyennes, petits industriels, petits commercants, petits rentiers, artisans et paysans, toutes ces classes tombent dans le prolétariat, soit que leur petit capital ne suffit pas pour pratiquer la grande industrie, et succombe à la concurrence des capitalistes mieux pourvus, soit que leur habileté soit dépréciée par des méthodes de production nouvelles ». Décortiquons. 

 

« Le petit capital ne suff[it] pas pour pratiquer la grande industrie », et les grandes entreprises transnationales imposent la dictature du marché aux petites entreprises par la « tyrannie du trust », phénomène finement analysé par Chesterton.

 

« La concurrence des capitalistes mieux pourvus » : on entend d’ici les cris des agriculteurs français sacrifiés par l’Union Européenne sur l’autel de la concurrence internationale, ainsi que les supplications des petits commercants de proximité détruits par la grande distribution ravageuse. 

 

« Les méthodes de production nouvelles » forçant tous les jours des entreprises à mettre la clef sous la porte : ne serait-ce pas ce que le jargon libéral appelle pudiquement l’absence de compétitivité économique ? 

 

Marx écrit justement que la bourgeoisie « a concentré la propriété en un petit nombre de mains. Vous vous indignez que nous voulions abolir la propriété privée. Mais dans votre société actuelle, la propriété est abolie pour les neuf dixième de ses membres ». Cela nous fait bien évidemment penser au mot de Chesterton : « le problème du capitalisme, ce n’est pas qu’il y a trop de capitalistes, c’est qu’il n’y en a pas assez »

Critique littéraire : le Manifeste du parti communiste

 

 

 

 

De la critique du capitalisme à la critique du libéralisme-libertaire 

 

Il serait fastidieux de détailler ici tous les mécanismes inhérents au capitalisme que Marx a magnifiquement su déceler : la répétion cyclique des crises économiques mondiales, la division internationale du travail, ou encore la mondialisation entrainant l’uniformisation de la culture et de la politique ; autant de sujets sur lesquels la lucidité de Marx est à saluer. Mais il est un autre sujet qui a une résonnance particulière dans notre société post-soixante-huitarde, que Marx a encore une fois su dévoiler bien prématurément : la destruction par le capitalisme de toutes les structures traditionnelles. 

 

Sur ce point, Marx est bien le précurseur de Michel Clouscard. Quand ce dernier analysait que Mai 68 avait abouti à une alliance entre la droite libérale et la gauche libertaire pour détruire les vieilles structures traditionnelles, « l’alliance sournoise du libéral et du libertaire pour liquider le vieux », Marx constatait déjà en son temps que ce « vieux » était justement un rempart face au capital. C’est ce que Clouscard aura su exploiter et parfaitement mettre en valeur. Il montra qu’en voulant détruire ces institutions au nom de l’émancipation de l’individu, la gauche nihiliste s’est vendue au capital, laissant ce dernier combler le vide. Le « jouir sans entrave » est devenu le « consommer sans entrave ». 

 

 

 

     « Le bourgeois ne voit dans sa femme qu’un instrument de production » 

 

 

 

Ainsi, prévoir dès 1848 que « le bon marché des marchandises est l’artillerie lourde avec laquelle la bourgeoisie abat toutes les murailles de Chine, [obligeant] toutes les nations à faire leur, si elles ne veulent pas disparaitre, le mode de production de la bourgeoisie », c’est prédire déjà que les frontières seront abattues par un capitalisme débridé, qui oblige à s’associer à la mondialisation sauvage. 

 

Admettre également que « le bourgeois ne voit dans sa femme qu’un instrument de production » pour finalement prévoir que le capital « entend dire que les instruments de production seront exploités en commun et ne peut imaginer pour les femmes d’autres sort que d’être également mises en commun », c’est prédire qu’un jour le ventre de la femme sera adjugé-vendu au capital.

 

En somme, ce que le génie de Marx a su déceler à demi-mot, c’est que la destruction des institutions séculaires ne peut que servir la mondialisation capitaliste. C’est précisément ce que ne veulent pas comprendre les idiots utiles de ce système, qui continuent à la fois à lutter pour sa disparition, et paradoxalement à demander l’abolition des frontières et de la famille traditionnelle sans se rendre compte qu’ils font justement le lit du marché. « Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes » écrivait Bossuet.

 

 

 

Le communisme, une belle idée mal appliquée ? 

 

 

Marx prévoyait-il toutes les horreurs que le totalitarisme communiste produira en son nom ? Savait-il qu’au nom du communisme, des peuples subiront des famines organisées, des Grandes Purges, des génocides de classe et des Révolutions culturelles ? 

 

Le communisme est-il finalement une belle idée mal appliquée ? 

 

Critique littéraire : le Manifeste du parti communiste

Voici le point numéro cinq du programme communiste inclu dans le Manifeste : « Centralisation du crédit entre les mains de l'État, au moyen d'une banque nationale, dont le capital appartiendra à l'État et qui jouira d'un monopole exclusif ».

 

 

    

La toute puissance de l’Etat est ici évidente, celui-ci détient le « monopole exclusif » du capital. Voici à présent ce que dit le Manifeste de la bourgeoisie : « Le prolétariat de chaque pays doit naturellement en finir d’abord avec sa propre bourgeoisie ». « Cette personne là, il faut assurément la supprimer ». Le message est clair. Il faut tuer le bourgeois. 

 

 

 

    Substituer « l’éducation par la famille à l’éducation par la société »

 

 

 

Quant à la collectivisation que préconise le Manifeste ? « Les communistes peuvent résumer leur théorie en cette seule expression : abolition de la propriété privée ». C’est évidemment un lieu commun.

 

Enfin que nous dit Marx pour éduquer les enfants des bourgeois ? 

« Nous reprochez-vous de vouloir abolir l’exploitation des enfants par leurs parents ? Nous avouons ce crime. Mais, dites-vous, nous supprimons les liens les plus doux en substituant l’éducation par la famille à l’éducation par la société ». Les enfants sont pris en charge par l’Etat. Ces mots violents légitiment totalement l’éducation communiste et la délation intra-familiale imposée aux enfants. Ainsi, le mythe de l’enfant soviétique Pavel Morozov ayant dénoncé ses parents « opposants à la collectivisation » est conforme au Manifeste.

 

 

Non, le communisme n’est pas une belle idée mal appliquée. Marx depuis le départ savait que la violence, la tabula rasa, la délation et le génocide de classe seraient des moyens employés afin d’aboutir à la société sans classe.

 

 

 

 

« Les communistes se refusent à dissimuler leurs opinions et leurs intentions. Ils déclarent ouvertement que leurs fins ne peuvent être atteintes que grâce au renversement par la violence de tout l’ordre social du passé. Que les classes dominantes tremblent devant une révolution communiste. Les prolétaires n’ont rien à y perdre que leurs chaines. Ils ont un monde à gagner.

 

         PROLETAIRES DE TOUS LES PAYS, UNISSEZ-VOUS ! »

 

 

 

 

 

 

 

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