Le capitalisme peut-il encore être critiqué ?
Une croissance économique qui peine à s’implanter avec vigueur en France comme en Europe malgré les efforts ; des pays émergents qui semblent prendre le chemin du développement à l’occidental, épuisant les ressources naturelles de la planète et mettant en danger notre environnement à tous. Voilà un constat qui devrait nous interpeler. Une solution ? Changeons de paradigme, et faisons un peu le procès du capitalisme. C'est en tous cas le parti pris très radical d' Impertinence.
Si la Chine, l’Inde, le Brésil et l’Argentine devenaient les États-Unis, que se passerait-il ? Et si l’Afrique prenait elle aussi ce chemin ? Personne n’ose l’imaginer, à part certains fous, cette sorte d’idiots utiles, qui se plaisent à espérer qu’une fois ces pays développés, nous pourrons exporter chez eux des biens pour acheter les leurs, le tout dans la paix et l’harmonie. Le libre-échange est effectivement cette logique folle et absurde, consistant à penser que les peuples deviennent forcément amis par le commerce. Dans ce jeu, l’Etat devient un territoire à dominer pour le rendre productif, sa population une main d’œuvre à optimiser. On comprend mieux la place minime accordée à l’identité. En vérité, elle ne compte pas. Les zones de libre-échange sont le moyen d’intégrer les territoires dans cette spirale infernale.
Mais au fur et à mesure que la mondialisation/globalisation renforce la concurrence internationale, accroît les profits des firmes multinationales et renforce leur pouvoir au détriment des Etats, sème la guerre entre les travailleurs protégés et ceux qui ne le sont pas, nous rend tous nomades, chamboule l’ordre du monde par son grand déménagement et son grand désordre juridique (selon les mots de Mireille Delmas-Marty), met tout le monde au travail sous peine de mort et enlève le repos aux individus, remplit les mers de porte-conteneurs et les airs d'avions, libère tous les flux en même temps (personnes, marchandises, capitaux, services), unifie tous les modes de vie sur la planète, standardise et détruit la nourriture ainsi que la culture, dérègle le climat, accélère de manière excessive nos vies, nous empêche de profiter des choses simples et belles, met en danger les modes de vie locaux, pouvons-nous encore garder espoir que cette folie collective s’écroule ? Ce monde pourrait-il fonctionner si la démesure ne le caractérisait pas?
En France, tout le monde - ou presque - souhaite le retour de la croissance économique, oubliant gentiment toutes les externalités négatives qu’elle engendre. Une position qui se défend très bien, mais qui empêche de chercher ailleurs. Cette croissance serait, dit-on, le remède à tous nos maux. Espérons juste qu’Aristote ne se retourne pas trop dans sa tombe. L’inventeur de l’économie, pourfendeur de l’usure, était avant tout un amoureux de l’harmonie et de la justice. Si l’idée même est difficile à définir, démontrer que le néo-libéralisme mondial est plus injuste que juste semble couler de source. Il contredit en tous cas l’adage célèbre de notre philosophe grec préféré : « l’argent ne fait pas de petits ».
Qu’elle soit verte, vertueuse, décrite comme durable ou l’inverse, la croissance économique infinie n’existe pas. Quand bien même elle existerait, est-elle souhaitable ? Elle est aussi finie que les ressources de la planète dans lesquelles on puise. Une fois que chaque individu aura acheté deux voitures, lui persuadera-t-on d’en acheter trois afin d’alimenter les rouages de notre modèle de développement ? Dans une société pareille, l’obsolescence programmée, la publicité omniprésente et le crédit pour acheter semblent être le seul horizon indépassable, capable de faire redémarrer le capitalisme. Avec un tel raisonnement, on ne peut que s’étonner que l’école ne soit pas encore privatisée. Dans le prolongement de cette idée, considérer les pays émergents comme de futurs marchés à conquérir s’affirme comme une solution inévitable, pour une Europe vieillissante et déjà très équipée en biens multiples et variés.
Serions-nous donc bel et bien devenus les producteurs-consommateurs tant décriés par un certain Michel Clouscard en son temps ? Avons-nous fait tant de siècles d’Histoire ensemble pour la voir se tordre de douleur dans les filets de la loi El Khomri ?
Jacques Chirac, Thatcher et Reagan ont su se convertir au libéralisme dans les années 80. Aujourd’hui, nous nous querellons pour savoir s’il vaut mieux être protectionnistes ou favorables au libre-échange, reproduisant le combat qui opposa mercantilistes et physiocrates. Les deux sont des extrémismes. Le néo-libéralisme apparait quant à lui être l’idéologie mère, celle qui structure nos vies autant que nos modes de pensée. Certains auraient-ils peur de se convertir à autre chose qu’à l’argent ?
Nous souhaitons tous atteindre un mode de vie « babylonien », une vie dans laquelle on pense à autre chose qu’à assurer chaque jour sa survie. Cela est inhérent à la nature humaine. De même, l’Homme essayera toujours, par son intelligence, d’améliorer ses conditions de vie.
Aujourd’hui, force est de constater qu’en l’état actuel des choses seule une partie d’entre nous y parvient. Le chômage est une véritable réalité qui s’installe comme un phénomène durable dans notre pays, privant des individus (pas forcément paresseux) de leur potentiel créateur et de leur liberté. Le chômeur est en effet perçu aujourd’hui dans l’imaginaire collectif comme un fainéant et comme un inutile (terme que l’on confond avec inactif = sans emploi rémunéré). Cet individu est handicapé en ce sens qu’il se voit dépendant de l’argent issu du travail des autres et redistribué par l’État sous forme d’aides, comme tout un chacun achète sa liberté avec son travail, et en est donc dépendant pour vivre.
Repenser notre rapport au travail, se demander pour qui et pour quoi on se lève tous les matins, questionner sincèrement l’utilité de nos emplois pour la société sur le long terme, telle semble être la voie ultime du salut et un remède salvateur pour nous guérir de notre aliénation. Car notre crise, bien plus qu’une mauvaise passe économique, semble malheureusement être celle du capitalisme tout entier. Le questionner nous interroge sur nous-même. Pourquoi sommes-nous obligés de travailler toujours plus alors que le progrès devait faire que les machines nous libèrent et nous laissent plus de temps pour les loisirs ?
Certains en sortent par idéal ou contre leur gré, d’autres parce qu’ils en ont marre de devoir être toujours plus compétitifs et soumis pour vivre. Certains entreprennent des choses nouvelles, d’autres ne font rien et vivent au crochet de l’État (les salauds !). Mais tous sortent des structures mimétiques du capitalisme. Ils décident de vivre en marge.
Ne nous moquons pas d’eux. Ils pourraient bien avoir tout compris avant tout le monde. Inventer de nouvelles formes de développement n’est pas possible quand on travaille toute la journée pour gagner sa vie ! Guérissons l’homme avant de guérir la société ! L’urgence est là. Aujourd’hui, il ne sait plus qui il est, d’où il vient et où il va. Il a cru se libérer des religions, mais ne voit pas qu’il en a une nouvelle, bien plus dure. Pire, il aime se lever pour un but qu’il ne remet jamais fondamentalement en question. Or, nous avons oublié qu'un homme ne se définit pas par l'emploi qu'il occupe. Il est un homme avant tout avec des possibilités multiples d'action et une intelligence pour créer et innover.
Et c’est ainsi qu’on entend certains ministres dire aujourd’hui des choses telles que « tous les jeunes veulent être des entrepreneurs ». Comprenez par cette formule que tous les jeunes veulent vivre comme des petits bourgeois. Évidemment, nous ne faisons pas ici le procès de ceux qui entreprennent, créent et produisent de la richesse. Énormément ont un réel talent qu’ils mettent en œuvre pour faire de belles choses et créent des emplois (on ne leur dira jamais assez merci). Mais nombreux sont ceux qui ne souhaitent pas reproduire le schéma décrit par monsieur Macron.
Le pire des totalitarismes n’est-il pas celui où les individus faute d’avoir le choix, adorent leur servitude ? Ce parti-pris n'engage que celui qui le prend.
MMDB